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Agnés la ribaude. Tome 3 BONUS 3

19 Septembre 2012, 18:30pm Publié par Christine Machureau
Catégories : Bonus

Agnés la ribaude. Tome 3 BONUS 3

Ceci n'est pas un roman, mais une autopsie d'Agnés la ribaude. Je me suis contentée de jouer les metteurs en scène. Estomacs délicats s'abstenir.



Charles VII ne s’est pas contenté de nous rendre la France, il l’a réunifiée. Compte tenu du peu de crédit qui présida à son avènement, j’estime qu’il fut un grand Roi. S’il reste le symbole de celui qui bouta l’Anglais, il est l’initiateur méconnu d’une coutume, qui devint le symbole d’un pouvoir qui pouvait s’exercer en dehors des lois de l’Église. Il légalisa la place de concubine pour en faire un poste de « favorite ». Il officialisa la fonction. Tous les rois capétiens lui emboîteront le pas avec un plaisir évident. La mode était lancée, elle dura.



Mais qui était Agnès Sorel ?


À 17 ans elle entre à la cour d’Isabelle de Lorraine, épouse de René d’Anjou, beau-frère du Roi. Quelques années plus tard, sans doute munie d’une certaine expérience des hommes, la rencontre a lieu avec son célèbre amant, âgé de quarante-quatre ans.


Agnès est belle. Très belle. Agnès est blonde. Agnès est piquante. Pour Charles VII c’est le coup de foudre. Lui, que l’on dit timoré, impose sa maîtresse à toute la cour. Elle joue son va-tout et ne quitte plus le roi. Partout, on la voit, à deux pas du Roi. Elle est intelligente Agnès. Trop. Elle s’entoure de son « clan », s’attire les inimitiés les plus dangereuses. Elle influence le Roi, l’encourage dans son combat contre les Anglais. Elle dépense Agnès. Beaucoup. On la dit pieuse, et généreuse… calcul ? Sans doute, car les puritains en ont assez. Elle étale sans vergogne ses charmes rebondis dans des décolletés dont elle a le secret. Ses seins à peine voilés font scandale, enhardissent les plus sages à se dévergonder. Et c’est bien cela qu’on lui reprochera le plus. Tant d’impudeur, tant de pouvoirs en place et lieu de sa propre mère, la Reine Marie d’Anjou, mettent en fureur le Dauphin, futur Louis XI, qui ira dit-on jusqu’à la menacer physiquement. Charles VII éloigne son fils.



Un enfant, deux enfants, trois enfants… toutes des filles. Puis survint la quatrième grossesse. Le Roi est loin de Loches en Touraine. Il est du côté de Jumièges. C’est la trêve. Elle le sait toujours bien accompagné et malgré l’amour véritable qu’il semble lui porter… Elle se méfie Agnès… jusqu’à sa propre cousine qui n’attend qu’un signe pour sauter dans le lit royal et lui ravir la place. Les ennemis sont partout. Elle n’y tient plus. Vite en finir avec cette grossesse, reprendre l’ascendant sur cet homme, sur le roi.



Elle organise son déplacement malgré l’hiver, malgré sa grossesse avancée, malgré sa fatigue toujours plus grande depuis un an. Elle fait bonne figure Agnès, mais elle a un secret. Agnès a des vers intestinaux dont elle n’arrive pas à se débarrasser. Oui, tout cela a quelque chose d’incongru, de trivial, mais cela est. Pire, cela l’empoisonne à double titre. Elle a bien pris la tisane de fougère mâle du médecin du Roi, Robert Poitevin. Elle mesure elle-même le mercure qu’elle ingère avec du miel. Rien n’y fait. Le mal grandit inexorablement. Elle en est à se tortiller tant les démangeaisons de son fondement sont vives lorsque les vers lui sortent par l’arrière ! Pis que cela encore… Dans les vomissements des premiers mois de cette grossesse, on distingue bien nettement des filets blanchâtres qui ondulent et se tordent, parfois longs de vingt centimètres… C’est l’horreur absolue.



La veille au soir lors d’un éternuement formidable, elle a bien distingué dans son mouchoir de batiste quelque chose de douteux. Elle se voit dévorée par les vers, toute vivante. Cela devient intolérable. Alors depuis trois mois elle double, elle triple les doses de sels de mercure. Si la Cour venait à être renseignée, c’en serait fait d’elle et de sa place prépondérante, à l’égale d’une reine.



La voiture, tirée par six chevaux, ralentit le pas. L’air glacé s’infiltre partout. De toute façon, Agnès ne sent plus rien. Pieds et mains engourdis, elle tente de capter la chaleur des deux suivantes qui se sont assises de chaque côté de la maîtresse royale. La « belle » comme on l’appelle, est épuisée. L’enfant dans son ventre ne bouge plus, des coliques la tordent sur ses coussins. Elle a froid, au bord du délire elle marmonne des mots sans suite. Catherine de Sancy roule des yeux effrayés… « Et si Agnès Sorel mourait avant l’arrivée ? »



Question muette que sa compagne a comprise. Elle lève les yeux au ciel.
« Quelle imprudence ma chère d’avoir entrepris ce voyage par les routes verglacées, grosse de plus de six mois… Mais quelle mouche l’a piquée ! Le Roi l’aurait attendu. Dans quelques semaines, délivrée, elle l’aurait rejoint ! »



Dame Catherine se détourne, espérant échapper à cette odeur de soufre, acide et surette qui se dégage d’Agnès.




Hors de son sens, mais pas de son ouïe, Agnès les entend. Elles ne le savent pas. Et ce qu’elles ignorent aussi, ce sont les nouvelles inquiétantes qu’elle a reçues de Jumièges où sont ses amis. Sa propre sœur intrigue. Plus jeune et tout aussi effrontée qu’elle-même, elle tourne autour du Roi comme une perdue. Avec l’instinct infaillible de l’amante en fin de course, elle pressent le danger. Elle arrivera coûte que coûte auprès du Roi. Cet enfant, garçon ou fille, elle n’en veut plus. Elle retrouvera vite son allant, sa gaîté. Etonnera le Roi par une nouvelle toilette, de plus en plus décolletée, au risque d’attraper un flux de poitrine. Elle réussira à durer. Car c’est bien de cela qu’il s’agit pour elle maintenant. Durer.


Elle redresse la tête et murmure :


« Dans combien de temps ? »



« Une heure peut-être. »



Encore tenir. Et cette lourdeur dans le bas-ventre qui ne la quitte pas ! Vomir !
Elle vomit sur ses genoux. Peu. Comme un fiel étrange. Elle a encore conscience de cette odeur, ce goût métallique dans la bouche qui ne la quitte plus depuis trois jours. Une femme attrape une serviette et frotte sa robe. Elle n’urine plus. Y a-t-il encore des vers ? Ils grouillent plus fort que l’enfançon. Elle se fait horreur. Comment le Roi va-t-il l’accueillir ? Va –t-il encore l’aimer ?




Elle sombre dans la noirceur d’un froid intense… Est-ce l’antichambre de la mort ?




« Faites place ! Écartez-vous ! »



Les murs de l’Abbaye viennent d’être franchis presque au galop. Le médecin Poitevin accourt, il suit le transport et son odorat, si nécessaire à sa profession, ne lui laisse aucun doute.


Agnès est enfin allongée dans la chambre royale. Le Roi, effrayé, l’a voulu ainsi.
Il n’est pas le seul à avoir peur. De cette si jolie tournure, il ne reste rien, un corps grisâtre à la peau squameuse. La Dame de Beauté a le teint vert. Poitevin vient de s’apercevoir qu’Agnès perd les eaux. Il demande de l’eau, fait refluer le Roi et reste avec deux servantes. Les dames de compagnie s’en sont allées, épuisées, découragées. Elles traînent un dégoût et une misère sur le visage qui alertent la cour.




Bizarrement, cette chambre d’accouchée est silencieuse, trop silencieuse.
L’enfant vient de couler entre les cuisses de la belle Agnès. Il est bleuâtre et naît, accompagné par la diarrhée de sa mère. Poitevin, dont l’expérience n’est plus à prouver, n’a jamais vu un tel chantier ! On enlève les draps. L’enfant tarde à crier. Poitevin le claque. Il revient vers la mère qui ouvre les yeux.



« C’est un garçon Madame »




Agnès n’en a rien à faire, elle voudrait boire, elle voudrait qu’on lui enlève ce poids sur le ventre qui n’a guère dégonflé. Elle a toujours froid dans cette chambre surchauffée, car Charles VII est très frileux. On évacue les sanies grouillantes d'ascaris. Le Roi arrive. Raidi près du lit, il voit la mine défaite de son médecin et comprend. Il ne se penchera pas vers l’accouchée qui répand une sale odeur. Il n’aura pas un sourire pour la rassurer. Charles est toujours comme cela : au moment ultime, il déçoit. Les reins lui font mal, c’est à cela qu’il pense. Il part, mais il pleure. Pour Agnès, c’est l’ultime défaite. Elle ne rouvrira pas les yeux. Le médecin suit le Roi et annonce :



« Madame Agnès est morte d’un flux de ventre. »



Nous sommes le neuf février 1450. Agnès Sorel n’avait pas trente ans.


Son fils n’eut pas l’honneur d’un simple prénom. Mis en boîte avec sa mère.



Il y tient à « son flux de ventre » Poitevin. Il s’y accroche. Et pour cause ! C’est lui qui a conseillé le sulfure de mercure. Mais à quelle dose ? Il ne se souvient plus… se serait-il trompé ? Ce n’est pas possible. Mais il en est sur, l’empoisonnement au mercure est patent. D'autres ont compris. Il sera soupçonné, puis blanchit. Il y en a plus d’un que l'on pourrait soupçonner. Et on ne s’en prive pas ! À commencer par le Dauphin ! Mais le Dauphin est loin… son père, depuis longtemps, met de la distance entre sa cour et lui. Alors Jacques Cœur ? Les exigences de la maîtresse royale le mettaient au bord de la faillite. Étienne Chevalier ? Secrétaire et Maître des Comptes du nécessaire du Roi qui pestait respectueusement sur les dépenses ? Non, il sera l’exécuteur testamentaire de la Dame de Beauté, puis de Charles VII. Insoupçonnable. La cour cherchera longtemps, au moins quinze jours, puis l’avènement de la petite sœur fit courir les langues dans un autre sens.



Les tripes et le cœur de la favorite resteront à L’abbaye de Jumièges et le reste du corps rejoindra Loches, villégiature que les amants appréciaient.


Il restera toujours un doute sur le pourquoi de la dose astronomique de mercure trouvée dans les restes de la Dame, qui ont eu le privilège d’être analysés, en 2004, par le professeur Philippe Charlier, avec les méthodes les plus modernes de paléopathologie, science dont il est le spécialiste le plus écouté. Quelques détails :



Elle était bien blonde.


Elle avait une déformation de la cloison nasale qui devait la faire ronfler au repos.


Elle avait un bon équilibre alimentaire. Elle était en bonne santé (sic). Avant de mourir bien entendu.



Il lui restait quelques dents.



Si le meurtre ne tombe pas sous le sens de l’Histoire, je pense que l’on peut émettre l’hypothèse du surdosage de l’automédication d’une femme aux abois. Sinon pour quelle raison obscure ce déplacement si dangereux, en plein hiver, à sept mois de grossesse ?